La mort de George Floyd le 25 mai dernier et la récente altercation avec la police en France a ravivé un débat ancien. Pour ou contre les statistiques ethniques ? Des grands noms s’opposent sur la question Héran face à Le Bras. Mais pas seulement il semble que tous les français aient un avis sur la question. Posez la question à un dîner de famille et rapidement votre cousine se révoltera face aux propos indécents de son oncle. Cet article ne prétend pas clore le débat mais donner des clés de réflexion et surtout faire un bilan de ce qui existe déjà ainsi que de ce qui est légal ou non.

  • Pourquoi font-elles débat en France ?
  • Les statistiques « ethniques » font débat en France depuis plusieurs décennies déjà. Certains souhaitent leur généralisation afin de pouvoir « mesurer pour alerter, piloter, évaluer et avancer » en ce qui concerne les discriminations. D’autres craignent une légitimation par la statistique officielle d’une grille de lecture ethno-raciale de la société menant à une essentialisation des catégories et le renforcement des stéréotypes.

  • C’est interdit en France, non ?
  • Non bien qu’on entende souvent qu’il est illégal de produire des statistiques ethniques en France, ce n’est pas le cas. Il existe déjà de nombreuses enquêtes ! Cependant, l’élaboration de telles statistiques est strictement encadrée du point de vue juridique.

  • Alors qu’est-ce qu’on a le droit de faire ?
  • Il est interdit de traiter des données à caractère personnel faisant apparaître directement ou indirectement les origines raciales des personnes. L’utilisation des variables de race ou de religion dans les fichiers administratifs est interdite. Cependant, la statistique publique peut réaliser des études sur la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l’intégration en se fondant sur des données objectives telles que le nom, l’origine géographique ou la nationalité antérieure à la nationalité française. Des données subjectives peuvent aussi être recueillies dans des enquêtes statistiques.

  • Comment collecte-t-on ces données ?
  • Il existe quatre principales façons de récolter des données sur les origines ethniques. L’autodéclaration, la perception directe par autrui, le reclassement a posteriori et l’auto-hétéro-perception. L’auto-déclaration s’apparente à une déclaration identitaire, on demande aux enquêtés qu’elle est, selon eux, leur appartenance ethnique. Elle reflète donc en partie la façon dont l’individu se définit, mais également son intériorisation des représentations le concernant. Dans la perception directe par autrui le chercheur tente de se mettre à la place du « catégorisant » pour reproduire la logique de son classement à vue. Le reclassement a posteriori est une méthode « objective » puisqu’elle utilise des données d’état civil qui sont censées ne pas varier selon les perceptions individuelles. Enfin, l’auto-hétéro-perception consiste à déclarer comment l’on pense être perçu par autrui.

  • Quelles enquêtes existent déjà ?
  • Comme le souligne l’Insee sur son site, « la statistique publique produit régulièrement et depuis longtemps des statistiques intégrant le pays de naissance, la nationalité à la naissance et la nationalité actuelle des personnes. Le croisement du pays de naissance et de la nationalité à la naissance permet de dire si une personne est immigrée (née étrangère à l'étranger et résidant en France) ou s’il n’est pas ». C’est le cas pour le recensement de la population, l'enquête emploi, l’enquête budget des familles et l’enquête logement. L'Insee et les services statistiques ministériels mènent plus rarement des enquêtes sur des données subjectives. Cependant, l'Insee a mené avec l'Ined une enquête sur l'impact des origines sur les conditions de vie et les trajectoires sociales, « Trajectoires et Origines » (TeO) en 2009 puis en 2019- 2020. Dans le questionnaire de cette enquête figuraient des questions sur le ressenti de la discrimination, le ressenti d'appartenance et la religion.

  • Que font nos voisins ?
  • Enfin, pour mieux comprendre les enjeux de ce type de statistiques en France il est intéressant de se pencher sur ce qu’il se passe à l’étranger. Au Canada les statistiques « raciales » ou des « minorités visibles » sont politiquement légitimées parce que les pouvoirs publics ont fait le choix de mettre en œuvre des politiques publiques pour promouvoir la diversité basée sur un critère ethno-racial. Le but est de réduire les inégalités sur le marché de l’emploi en recensant les « minorités visibles ». C’est-àdire toutes les personnes, autres que les Autochtones, qui ne sont pas de race blanche ou qui n'ont pas la peau blanche. Statistiques Canada a donc ajouté une question à ce sujet dans le recensement afin de pouvoir mettre en place une discrimination positive. L’exemple canadien montre le rôle moteur de politiques publiques qui ont été décidées avant l’évolution du questionnaire du recensement. Les catégories retenues ne semblent pas résulter d’une démarche scientifique mais d’un processus politique et administratif.